Moyen Âge
Comment penser, en regard des amours de Tristan ou de Lancelot, une histoire amoureuse de la jeune fille conçue comme personnage littéraire à part entière ? Il s’agit ici de saisir sur le vif, entre les lignes du jeu érotique de la fin’amor, les contours de ce personnage féminin juvénile, et, surtout, de ses émois. Au contraire de la dame courtoise corsetée par les devoirs de sa souveraineté, la pucelle ou la demoiselle, aspirante aux mirages de l’amour, jouit d’un semblant de liberté, si tant est que l’on puisse qualifier ainsi le devoir d’innocence et de réserve auquel elle est tenue. Dans les textes romanesques du XIIe siècle français, on voit surgir, en lieu et place des stéréotypes attendus, une grande variété de figures souvent évanescentes qui dessinent, comme en une série d’instantanés, le portrait d’une créature littéraire en mouvement. La jeune fille amoureuse esquisse une danse furtive qui évoque son désir d’évasion et son espoir d’un amour gémellaire. C’est une valse avec l’absolu qui l’emporte bien vite au-delà des limites de son statut précaire.
A une époque où le transfert culturel s'avère un phénomène central, l'étude de la migration des artistes, des modèles et des langages constitue un axe de recherche qui permet de comprendre des phénomènes d'assimilation, d'émulation ou de refus face aux usages et aux traditions d'autres pays, voisins ou lointains. Dans cet ordre d'idées, un rôle fondamental revient au dialogue, durable et fertile, entre la France et l'Italie. Les contributions de ce volume mettent en relief des relations entre deux grandes périodes et leurs contextes culturels, le Cinquecento et le Grand siècle, et éclairent les stratégies et les modalités de processus de sélection et d'appropriation. Parmi les nombreuses expériences artistiques qui ont caractérisé la péninsule tout au long du XVIe siècle, quels sont les modèles qui ont vraiment ouvert dans les habitudes et les prédilections des Français, quel type de classicisme italien a été accueilli et selon quelles modalités ? Les contagions et les "allers et retours" constants qui enrichissent les échanges entre les deux pays constituent le dénominateur commun des réflexions de ce livre, appelées à stimuler un regard croisé entre le différents domaines de l'activité artistique, au-delà des frontières et des périodisations traditionnelles. Elles cherchent à montrer la variété et la complexité des problématiques de la migration et de la métamorphose des modèles et à mettre en évidence la richesse des positions critiques actuelles, en encourageant une lecture plus nuancée de l'évolution des concepts et des langages artistiques.
Lointain épigone de la chanson de Renaut de Montauban, Mabrien nous raconte, d'abord sous forme d'une mise en prose manuscrite datant de 1462, l'histoire du petit-fils de Renaud, depuis sa naissance jusqu'à sa mort. Au XVIe siècle, et pour des raisons qu'on s'explique mal, les auteurs des versions imprimées ont pris le parti de faire précéder l'histoire du héros - qui s'appellera désormais Mabrian et non plus Mabrien - d'une série d'épisodes qui, dans le grand remaniement du XIVe siècle, font suite à la mort de Renaud.
De Mabrian on a recensé treize éditions du XVIe, et trois du XVIIe siècle. Toutes semblent donner à peu près le même texte, mais, par rapport à la version manuscrite, les différences sont si considérables qu'on peut parler d'une nouvelle rédaction.
Pour la distribution en France : www.sodis.fr
Si les historiens se sont intéressés depuis une trentaine d'années aux pratiques alimentaires du Moyen Âge, rares sont les travaux consacrés à la représentation de la nourriture dans la littérature médiévale de la péninsule Ibérique et de la France. L'histoire sociale de l'alimentation existe certes, mais l'histoire littéraire reste à inventer.
Qu'elle oscille entre abondance ou privation, entre condamnation ou exaltation, entre esthétique romanesque ou discours politique, entre effet de liste ou effet de suture, la nourriture dans la littérature du Moyen Âge pose la question de l'oralité et du discours autour de la bouche conçue comme organe de communication et de consommation.
Traités théoriques, livres de cuisine, ouvrages médicaux et textes littéraires témoignent de cet intérêt porté à la table du Moyen Âge, table réelle ou table imaginaire, associant à l'esthétique des mets la poétique des mots. À travers des études monographiques, comparatistes et linguistiques, ce volume tente d'en rendre compte dans un dialogue entre histoire de l'alimentation et études littéraires.
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En Espagne, le développement de l’histoire des femmes, dans les années 1980, est contemporain des profonds changements qui ont affecté la sociét© après l’avènement de la démocratie. Aux lendemains de la Transition, les revendications féministes ont porté, tout particulièrement, sur l’accès au marché du travail et sur la reconnaissance de la contribution féminine à l’économie. Cete concomitance contribue à expliquer que l’attention des historiens se soit portée très tôt sur la place des femmes dans les activités de service et de production, qu’elles soient salariées ou pas. Sans doute l’heure n’est-elle pas encore au bilan, mais le dossier présenté dans ce numéro permet d’apprécier les progrès accomplis sur cette question. Plus qu’une évolution linéaire, c’est la variété des situations, la diversité des sources et les enjeux heuristiques de ce champ d’étude que les auteurs ont cherché à montrer.
Le tome VI du Devisement du Monde retrace le retour de Marco Polo vers l’Occident. Les principales étapes de ce long périple sont évoquées dans le présent volume. Le voyageur relève une foule de curiosités dans les îles d’Indonésie, à Sumatra, à Ceylan et surtout en Inde, dont il présente à la fois la côte orientale, vue dans un voyage antérieur, et la côte occidentale, où l’escadre a fait escale à plusieurs reprises. Le marchand est toujours attiré par les épices et les pierres précieuses, mais il est attentif aussi à l’étrangeté des êtres et des comportements. La curiosité fait de lui une sorte d’ethnologue et d’anthropologue avant la lettre. Sur maints pays traversés il relève une foule de choses vues, que les explorateurs ultérieurs n’ont nullement contestées. A propos des îles de Socotra ou de Zanzibar, au sujet de la côte orientale de l’Afrique, du port d’Aden ou du pays de Dhofar dans le sultanat d’Oman, où il ne s’est nullement rendu, il rapporte des traditions orales, sans doute d’origine arabe. Il relate aussi un certain nombre de légendes, qui donnent à l’oeuvre une atmosphère poétique assez attachante. Ce volume, comme les précédents, unit le réel et l’imaginaire, mêle le véridique et le fantastique. Aujourd’hui encore tout au long de ce récit les merveilles de l’Asie continuent de nous intriguer et de nous fasciner.
Dès la mise en application des codes pénal et administratif du Japon en 702, quantité de décrets destinés à modifier ou à compléter la législation fondamentale ont été promulgués. Cette activité législative a été intense pendant les deux siècles durant lesquels la cour a essayé d’appliquer les codes. Une partie importante de ces décrets a fait l’objet de trois compilations officiellement présentées à la cour en 820 à l’ère Kônin, en 869 à l’ère Jôgan et en 907 à l’ère Engi. Ces trois recueils ont été refondus au XIe siècle sous le titre « Décrets de trois ères méthodiquement classés », Ruijû sandai kyaku. Les textes ont été alors organisés selon diverses rubriques, les cultes, la gestion des fonctionnaires, l’administration des provinces, la fiscalité, le régime des terres, la défense, la répression des délits, etc. Alors que les trois compilations d’origine ont disparu, ce recueil, qui regroupe plus de mille décrets, est presque entièrement conservé. Il fournit une riche documentation sur la gestion du personnel administratif, sur les difficultés d’application d’un système fiscal complexe et dont le contrôle n’a jamais pu être satisfaisant, sur les fraudes, ainsi que sur la diversité des conditions et des occupations de la population.
Poser la question de l’actualité de « l’espace public » au Moyen Age est d’autant plus légitime que le théâtre médiéval est à la fois un théâtre de rue et un lieu de contestation. La polysémie de l’expression (espace immatériel et scénique) s’y trouve heureusement rendue. Le recueil La Vallière (BNF ms. fr. 25467), composé pour la représentation, en est une remarquable illustration : il fait alterner quatre pièces écrites pour être jouées sur des tréteaux : deux farces, dont chacune est suivie par une moralité ; jusqu’alors la critique s’était intéressée aux deux farces, la Pipée et Pathelin, plus accessibles, mais la vraie raison d’être du recueil est à chercher du côté des moralités politiques. Des moralités, Joël Blanchard a édité la première, la Moralité à cinq personnages ; il restait à éditer la Moralité à six personnages, texte difficile mais exceptionnel, alliant, dans une étrange unité, théâtre, astrologie et politique. Le cadre de la moralité est le monde de Louis XI ; les méthodes de gouvernement, l’arrivisme régnant sont dénoncés dans l’atmosphère contestatrice des Etats généraux de 1484, à l’heure du bilan d’un règne. C’est l’œuvre d’un basochien, dun homme au courant des habitudes universitaires et des mœurs politiques, mais aussi d’un rhétoriqueur faisant preuve d’une magistrale virtuosité verbale et formelle, à qui on serait tenté d’attribuer un nom, celui de Henri Baude. On sait cbien le théâtre médiéval profane nous est aujourd’hui difficile d’accès : les grilles de lecture en sont bien éloignées de nos habitudes de pensée modernes et l’interprétation est rendue malaisée par les allusions parfois hermétiques et une langue à la fois rude et ingénieuse. Mais, décryptée par un des meilleurs spécialistes de la période, la Moralité à six personnages, publiée pour la première fois, apporte un éclairage fort et neuf sur l’histoire politique et culturelle de la seconde moitié du XVe siècle.
Dans la première moitié du XIIIe siècle apparaît un nouveau décor du manuscrit enluminé, appelé au plus grand succès, la marge à drôleries. Des motifs profanes et humoristiques, très souvent animaliers, se multiplient à l’extérieur du texte et de son illustration. Leur présentation se codifie vers 1250 dans les ateliers parisiens, alors centraux de la production du livre universitaire, en épousant une mise en page solidement organisée à partir des lettrines initiales. Ce décor est aussitôt adopté dans les villes du nord de la France et dans les Flandres, ainsi que dans l’Angleterre de l’est. Vers 1300, il se répand dans le sud de la France, en Espagne, en Allemagne et en Italie. Mais, dès le milieu du XIVe siècle, la prolifération des feuillages supplante les drôleries animales ou humaines. Bien que connaissant des résurgences successives jusqu’à la Renaissance, le genre est passé de mode.
Jean Wirth et son équipe de recherche discutent les interprétations existantes et proposent une méthode iconologique adaptée au sujet. Les Marges à drôleries des manuscrits gothiques font l’histoire de la constitution et de l’évolution stylistique du genre, puis de ses principaux ingrédients constitutifs. On montre successivement ce qu’il doit à l’enluminure romane, à l’iconographie de la Bible et du psautier, à l’imitation d’œuvres d’art antiques et enfin à la littérature profane. La thématique de ce décor, successivement la chasse, les jeux guerriers et pacifiques, la musique, la danse et la jonglerie, le loisir courtois, enfin la satire du système religieux, allant de l’anticléricalisme au blasphème, est étudiée. La présence paradoxale d’un décor marginal indiscutablement profane dans des livres de dévotion, la plupart destinés à des dames de l’aristocratie, est par ailleurs élucidée en partant de ce que l’on sait des commanditaires et des peintres. Les conclusions auxquelles aboutissent alors Wirth et son équipe renouvellent notre connaissance du comportement et de l’idéologie de la noblesse au Moyen Age. Elles nous apprennent également qu’en faisant mettre en image leur mode de vie et leur conception du monde, sur un mode généralement comique, les commanditaires de ces livres ont contribué à l’éclosion d’une iconographie pleine d’avenir dans la peinture occidentale : la scène de genre.